Commenter un texte, c’est tirer le fil d’une enquête : la méthode à suivre indice par indice
- Maud Saget
- 5 juin 2024
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 juil. 2024
Cette idée "d'énigme à résoudre" m'est venue alors que je voyais mon fils peiner devant sa copie, à l'approche du bac français. Il avait éliminé la dissertation de ses choix et avait mis toutes ses chances dans le panier du commentaire. Ce qui semble, au final, une bonne option, car le commentaire c'est d'abord de la méthode ! Un raisonnement logique à filer sous forme d'enquête. Enquêter = chercher la réponse à une question
Je lis le texte 1 fois, 2 fois, 3 fois… 10 fois !
Parce que personne ne résout une enquête sans déceler les indices !
Lecture 1 : je lis une fois le texte, en mode « je découvre le texte »
Là, on évite de se jeter sur la copie pour écrire ce qu’on n'a pas encore compris, ni cherché, ni trouvé !
Lecture 2 : je relis le texte, en mode « je m’imprègne de l’histoire et des intentions de l’auteur »
En déduire les premières clés de l’énigme :
Auteur :
Œuvre :
Genre :
Contexte et date :
Style direct, indirect, temps des verbes ? et ce qu’on en déduit (interpellation, description, narration, dialogue…)
Qui parle à qui, pourquoi (pour quels effets)
Qui est mis en scène dans le texte (quel personnage, ou quel objet, ou quel évènement ?)
Quel est le lien entre les différents personnages, le lien personnage /lieu, le lien personnage/situation ?
Le narrateur est-il dans le texte ?
Lecture 3 : je relis le texte, en mode « je décortique le sens phrase à phrase »
Lire attentivement la phrase et en comprendre d'abord la signification : c’est la base de la méthode !
Regarder les mots utilisés :
Quels mots sont répétés plusieurs fois dans le texte ?
Quels groupes de mot forment un champ lexical, lequel ? Un champ lexical réunit des mots liés par une même thématique (amour, joie, nostalgie, mort, tristesse…). Ils peuvent être des synonymes, des mots de la même famille ou encore des expressions. Le champ lexical permet de créer une atmosphère ou d’insérer une idée dans le texte.
Certains mots ont-ils une connotation (second sens, sens imagé) ? Ce procédé permet de créer des images mentales qui vont engendrer la surprise. Ex : la vague = sens 1 : masse d’eau qui se soulève et s’abaisse, sens 2 : la vague qui évoque un mouvement, un sentiment, la météo (vague humaine, vague de colère, vague de froid)
L’auteur utilise des termes mélioratifs ou péjoratifs ? lesquels ? pour quels effets ?
En déduire :
Les thèmes-clés
Le lien entre ces thèmes : est-ce qu’ils se complètent, s'ajoutent, s’opposent... ?
Le résumé du texte
Les intentions de l’auteur par ce texte : que veut-il montrer, prouver, décrire, expliquer… pourquoi ?
Une ébauche de problématique : quelle est la question induite dans le texte ?
Lecture 4 : Trouver les procédés littéraires / observer l’effet Ici je remercie l'équipe de Superprof, qui en lien avec L'Etudiant, a réalisé LA super liste de toutes les figures de style. Je n'aurais pas fait mieux.
Les figures de l’analogie établissent un rapport ou une ressemblance entre deux éléments et font surgir des images visuellement frappantes dans l’esprit du lecteur ou font des rapprochements inattendus :
La comparaison : « il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville » Verlaine
La métaphore : c’est une comparaison sans outil de comparaison. Exemple : « il pleure dans mon cœur » c’est comme si quelqu’un pleurait dans mon cœur
L’allégorie : pour imager un concept. Exemple : la faucheuse pour la mort. « Seul au milieu du passage piéton, la faucheuse me fait des appels de phares » Lomepal
La personnification qui consiste à traiter un animal ou un objet comme une personne. Exemple : « le téléphone pleure » Claude François, « et la Lune s’est moquée de moi » Indochine
La métonymie désigne une chose par une autre à laquelle elle est liée. Exemple : « ni les voiles au loin descendant vers Harfleur » (les voiles désignent ici les bateaux) Victor Hugo
La périphrase : consiste à nommer quelque chose par sa définition. Exemple : la capitale de la France pour parler de Paris, « j’manie la langue de Molière » Kery James (pour la langue française)
Les figures d’opposition permettent de mettre en regard deux éléments pour les opposer (ou au contraire les rapprocher) :
L’antithèse consiste à utiliser deux termes opposés à l’intérieur d’un texte ou d’une même phrase. Exemple : « moi j’ai fait la guerre pour habiter rue de la paix » Booba
L’oxymore : c’est une antithèse mais les deux termes sont collés l’un à l’autre. Exemple : soleil noir, « cette obscure clarté qui tombe des étoiles » Corneille
Le paradoxe pour mettre en regard deux idées ou deux notions et heurter la logique ou le bon sens. Exemple : « je commence les livres par la fin » Christine and The Queens
L’antiphrase : consiste à dire le contraire de ce que l’on pense, souvent dans un but ironique. Exemple : « quel temps magnifique » (alors qu’il pleut des cordes)
Le chiasme : consiste à inverser deux groupes de mots afin de les opposer selon le schéma AB/BA. Exemple : « les lois ne font plus les hommes mais quelques hommes font la loi » Daniel Balavoine
Les figures d’insistance visent à mettre en relief un élément :
L’hyperbole : c’est une exagération. Exemple : « je boirai tout le Nil si tu ne me retiens pas » Claude François
La répétition : consiste à répéter un même mot ou groupe de mots plusieurs fois. Exemple : « la terre était grise, le blé était gris, le ciel était gris » Jean Giono
Le pléonasme : consiste à répéter une même information avec deux termes différents. Exemple : « préparez-vous à être prêt » Casseurs Flowters
L’anaphore : consiste à répéter un même mot ou groupe de mots en début de phrase, en début de paragraphe ou en début de vers. Exemple chez Stromae : « qui dit études dit travail, qui dit taf te dit les thunes, qui dit argent dit dépenses, qui dit crédit dit créance, qui dit dette te dit huissier »
L’accumulation ou énumération : consiste à énumérer des termes sans progression. Exemple : « des crises, des crimes, des cris, des griffes que nous vernissons » Nekfeu
La gradation : une accumulation ordonnée qui va de l’élément le moins important au plus important (ou le contraire). Exemple : « j’y passerai bien la nuit, la journée, même la vie » Ashkidd
Les principales figures d’atténuation
L’euphémisme consiste à atténuer l’expression de quelque chose de douloureux ou de choquant. Exemple : « cette petite grande âme venait de s’envoler » Victor Hugo (pour dire qu’elle venait de mourir)
La litote : très proche de l’euphémisme mais elle n’atténue pas, elle met plutôt en valeur. « Ce garçon-ci n’est pas sot » Marivaux, « on pense à nos potes, pas morts de vieillesse » Oxmo Puccino
Les figures de « sons »
L’allitération : répétition d’une consonne. Exemple : « Ta Katie t’a quitté » Bobby Lapointe (deux en une), « Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde » Léopold Sedar Senghor
L’assonance : répétition d’une même voyelle. Exemple : « l’aurore grelottante en robe rose et verte » Charles Baudelaire
La paronomase : consiste à rapprocher des mots qui sont similaires dans une même phrase. Exemple : « qui s’excuse s’accuse » Stendhal, « d’où sors-tu ? Ta douceur tue » Nekfeu
Les procédés grammaticaux sont évidemment liés à la grammaire. Ils sont très nombreux et participent à véhiculer l’intention de l’auteur et ce qu’il veut créer comme sentiment, réflexion ou émotion chez son lecteur :
La ponctuation : présence ou absence, exclamations, interrogations
Les types de phrases : déclaratives, injonctives, interrogatives
Les formes des phrases : négatives, affirmatives, emphatiques (un ou plusieurs mots mis en valeur : « c’est ce garçon que je voulais rencontrer »)
Les dialogues ou les monologues
La longueur des phrases : phrases courtes (brutalité), phrases longues (solennité, ampleur)
La structure des phrases : simples ou complexes, verbales ou nominales (donnent un rythme plus rapide au texte)
Les modes et les temps verbaux : par exemple, l’impératif marque l’injonction
Les verbes d’action, de paroles, d’état (pour une description ou un portrait)
Les formules impersonnelles (comme il s’agit, il faut…) : y en a-t-il ? C’est en général dans une volonté de généralisation et de neutralité.
Les pronoms : le locuteur s’implique-t-il dans son texte ? Y a-t-il une rupture dans les pronoms (au singulier puis au pluriel) ? L’usage du pluriel peut marquer une volonté de généralisation
Le registre de langue : soutenu, familier, grossier, standard, un mélange ?
La présence ou non de modalisateurs : il s’agit de l’attitude du locuteur face à son énoncé (« il fera sans doute beau demain » est différent de « il fera certainement beau demain »)
Le type de narrateur : omniscient, externe (témoin) ou interne (participant)
La chronologie des événements qui peuvent ralentir le récit avec des retours en arrière ou au contraire l’accélérer
La versification si on est dans un poème : l’alexandrin est considéré comme plus solennel. Des vers impairs donnent plus de musicalité et de dynamisme.
Les procédés de structure :
Penser à envisager le texte dans son ensemble : La progression est-elle structurée ou au contraire, a-t-on le sentiment que l’auteur écrit sans avoir fait de plan (comme le fait souvent Montaigne avec de nombreuses digressions), même si ce n’est pas le cas. Est-ce un texte circulaire qui termine de la même manière qu’il commence ?
Observer les répétitions : des phrases ou des mots qui se répètent ?
Observer les symétries : y a-t-il deux portraits mis en regard au fil du texte par exemple ?
Observer les oppositions : l’auteur oppose-t-il des idées, des concepts, des lieux, des personnes ?
Observer les parallèles : l’auteur fait-il un rapprochement entre un évènement et un objet, entre une personne et une autre…
Observer les paradoxes : l’auteur met-il en avant deux idées contradictoires ?
Analyser la présence de ruptures : le texte progresse-t-il de façon linéaire ou y a-t-il un changement de sujet, de tonalité, de point de vue ?
Confirmer la problématique
Ecrire la question définitive de la problématique : les mots forment des thèmes, en reliant les thèmes, en analysant si ils s'associent, s'opposent, s'accumulent, se regardent... on en déduit une question. Et cette question : c'est la problématique.
Définir le plan et choisir un mot-clé pour nommer chaque partie et sous-partie (la grande idée à développer)
Chaque thème est injecté dans le plan et va alimenter le raisonnement
Chaque procédé utilisé va venir appuyer un thème et donner un effet au raisonnement
Imaginer les phases de transition entre chaque partie : lier le thème de la partie 1 à celui de la partie 2, est-ce que ces deux thèmes se complètent, s’opposent… ?
Puis se lancer seulement dans la rédaction
Introduction :
Présenter auteur, œuvre, date et contexte.
Situer l’extrait si cela est possible. Le résumer. Expliquer qui parle à qui et pourquoi.
Définir la problématique et annoncer le plan.
Attention à ne pas employer le JE (il faut rester objectif)
Plan :
Commencer chaque partie et chaque sous-partie par l’idée directrice qui va être développée
Chaque grande partie doit être composée de 2 à 4 sous-parties (qui doivent montrer une progression dans le traitement du thème)
Chaque paragraphe doit commencer par un connecteur (qui le lie au paragraphe précédent)
Chaque paragraphe est précédé d’un alinéa
Faire des transitions entre chaque partie : une transition montre la progression de la réponse à la problématique, et fait le lien entre le partie précédente et celle qui arrive
Faire une conclusion partielle à la fin de chaque partie
Conclusion :
Reprendre les grands points qui répondent à la problématique
Proposer une ouverture : soit historique (comparer avec aujourd’hui), soit littéraire (comparer avec d’autres auteurs, d’autres œuvres, d’autres œuvres du même auteur…), soit artistique (ouvrir vers d'autres domaines : comparer avec une peinture, le cinéma, la musique…).
Cette méthode est à suivre pour qui veut traverser un texte et en extraire un commentaire aiguisé !
Bonne chance à tous les bacheliers qui choisiront le commentaire de texte au Bac français.
コメント